Ecomatériaux et transition énergétique

Le rôle des matériaux écologiques dans la transition énergétique

 

La nécessité de réduire les consommations d’énergie de nos bâtiments n’est généralement plus remise en question aujourd’hui. Les dernières années ont vu se succéder les innovations et les réglementations thermiques, qui ont permis une formidable amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments neufs. Mais l’impact des bâtiments sur notre environnement se limite-t-il aux consommations d’énergie de leurs occupants ? Quid de l’énergie nécessaire pour produire les matériaux, les transporter, réaliser les travaux et, plus tard, rénover et déconstruire ?

 

L’énergie grise, un enjeu grandissant

Moins les bâtiments consomment durant leur exploitation, plus cette énergie « cachée » pèse dans leur bilan énergétique total. On parle d’énergie grise. A ce stade, quelques ordres de grandeur permettent de mesurer la situation : sans préoccupation particulière lors de sa conception et des rénovations qui vont suivre, l’énergie grise d’un bâtiment peut représenter 3500 kWh/m². Pour un bâtiment présentant une performance de 280 kWh/m² (moyenne du parc résidentiel français à la fin du 20e siècle), l’énergie grise représente donc la consommation de 12,5 années d’exploitation. Mais pour un bâtiment optimisé, dont la consommation réelle serait de 50 kWh/m², l’énergie grise représente la consommation de 70 ans d’exploitation !

 

Schéma issu de : L’énergie grise en question / Expo au fil du bois (Caue 38 – Creabois)

 

On réalise bien que l’unique recherche de la performance énergétique a des limites, d’autant plus que les bâtiments performants ont plutôt tendance à utiliser plus d’énergie grise à cause des quantités de matériaux et des équipements nécessaires. Ce surinvestissement énergétique pour atteindre des performances toujours supérieures a-t-il un sens ? Oui, car la différence d’énergie grise entre un bâtiment BBC et un bâtiment passif équivalent ne représente généralement que quelques mois de consommation. On s’aperçoit néanmoins qu’elle ne peut plus être négligée dans le bilan d’un bâtiment, puisqu’elle devient plus importante que l’énergie d’usage. Alors, comment limiter la mobilisation d’énergie grise pour le bâtiment ?

 

Le cycle de vie du bâtiment

Tout d’abord, en changeant de point de vue pour ne plus prendre en compte la seule phase d’exploitation, mais l’ensemble du cycle de vie. Celui-ci comporte cinq étapes :

  • Production : l’extraction des matières premières, la fabrication des matériaux, etc.
  • Transport : chaque étape de la vie des bâtiments occasionne des transports de matériaux, de déchets, etc.
  • Mise en œuvre : il s’agit de l’étape de construction proprement dite
  • Vie en œuvre : la phase d’exploitation du bâtiment, avec des consommations d’énergie d’usage et également des opérations de rénovation
  • Fin de vie : la démolition et le recyclage des matériaux

 

 Schéma issu de : L’énergie grise en question / Expo au fil du bois (Caue 38 – Creabois)

 

Où se cache l’énergie grise dans le cycle de vie ?

Partout ! Et c’est bien la difficulté, ne serait-ce que pour définir ce qu’est exactement l’énergie grise d’un bâtiment. Il n’en existe d’ailleurs à ce jour pas de définition normalisée. Pour bien comprendre, intéressons-nous tout d’abord à un matériau, par exemple l’isolant des murs :

  • De l’énergie a été consommée au cours de son processus de fabrication, pour alimenter les machines, transporter les matières, etc. On parle d’énergie « procédé ».
  • Le matériau peut lui-même contenir de l’énergie, s’il s’agit d’un isolant combustible. On parle d’énergie « matière », qui peut parfois être valorisée en fin de vie.

Qui plus est, qu’elle soit procédé ou matière, l’énergie peut être de source renouvelable ou non. On peut donc schématiser l’énergie « cachée » d’un matériau ainsi :

 

 

Si on cherche à déterminer l’impact environnemental d’un matériau, on comprend vite que la prise en compte de l’énergie matière peut introduire un biais dans l’analyse : un isolant minéral non combustible peut ainsi afficher une énergie totale inférieure à celle d’un isolant biosourcé qui lui, contient une grande quantité d’énergie matière. Alors que l’isolant minéral devra être mis en décharge à la fin de sa vie, tandis que l’énergie de l’isolant biosourcé pourra être valorisée facilement !

Heureusement, le cadre actuel tend plutôt à exclure l’énergie matière. On peut ainsi retenir la définition de l’énergie grise d’un matériau proposée par l’ICEB, qui prend en compte uniquement l’énergie procédé en faisant la distinction entre l’énergie renouvelable et l’énergie non renouvelable.

A partir de cette définition, l’ICEB établit celle de l’énergie grise d’un bâtiment comme étant la somme des énergies grises des matériaux et équipements qui le composent à laquelle on ajoute :

  • L’énergie nécessaire au déplacement de ces matériaux et équipements entre l’usine et le chantier,
  • La consommation d’énergie du chantier complémentaire à celle déjà intégrée dans l’énergie grise des composants et équipements (base vie, énergie de mise en œuvre, transport des personnes),
  • Les énergies grises liées au renouvellement des matériaux et équipements qui ont une durée de vie inférieure à celle du bâtiment
  • L'énergie nécessaire à la déconstruction de l’ouvrage.

 

Comment limiter la mobilisation d’énergie grise ?

La maîtrise de ces consommations d’énergie qu’on ne voit pas est tout aussi complexe que le concept d’énergie grise. On comprend toutefois aisément que le choix des matériaux de construction et de rénovation est un axe de travail extrêmement important :

  • L’utilisation de matériaux les plus locaux possible permet de limiter les consommations pour leur transport sur le chantier,
  • L’adéquation entre la durée de vie d’un bâtiment et celles des matériaux qui le compose permet également des économies,
  • En choisissant des matériaux à faible énergie grise, on limite celle du bâtiment.

Sur ce dernier point, de nombreux matériaux dits écologiques permettent des économies d’énergie grise importantes par rapport aux matériaux classiques. Les matériaux biosourcés notamment, issus de produits végétaux ou animaux, nécessitent peu de transformations ; leur production mobilise donc peu d’énergie.

Pour s’en convaincre, on peut consulter plusieurs bases de données contenant des informations sur l’énergie grise des matériaux. La base KBOB est l’une d’entre elles, et permet d’accéder à la donnée telle qu’elle est définie par l’ICEB. Les exemples ne manquent pas :

  • Le contenu en énergie grise de la ouate de cellulose est de 100 kWh/m3, contre 400 pour la laine de roche et 600 pour la laine de verre,
  • On peut également citer le liège ; son imputrescibilité et sa résistance à l’humidité en font un remplaçant idéal du polyuréthane, pour un contenu en énergie grise environ 5 fois inférieur.
  • Un enduit argile contient environ 8 fois moins d’énergie grise qu’un enduit plâtre
  • Une structure bois peut contenir jusqu’à 300 fois moins d’énergie grise qu’une structure métallique équivalente !

 

Conclusion

Bien sûr, les matériaux écologiques ne sont qu’une partie de la réponse aux enjeux de l’énergie grise dans les bâtiments. Une conception architecturale réfléchie, l’utilisation de nouvelles méthodes d’ingénierie énergétique, la mise en œuvre de procédés de chantier économes en énergie sont autant de solutions à envisager.

D’une manière générale, la réflexion sur l’énergie grise nécessite un changement de regard sur l’acte de construire. Les premières tentatives d’évolution de nos modèles sont en cours : en Suisse, le label MINERGIE-ECO est décerné aux bâtiments répondant à des exigences sur l’énergie grise ; en France, le label E+C-, qui préfigure la future réglementation thermique, traite les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment.

La filière des écomatériaux bénéficiera-t-elle de ces évolutions ? Si elle n’est déjà plus marginale, son développement futur nécessite de combattre certaines idées reçues, aussi bien chez le grand public que chez les professionnels. Mais une chose est sûre : elle représente un potentiel à ne pas négliger pour la mise en œuvre de la transition énergétique de notre société.

 

Pour aller plus loin

L'énergie grise des matériaux et des ouvrages, ARENE-ICEB

L'énergie grise en question, CAUE ISERE - CREABOIS

L'énergie grise en France : où en est-on ?, FIABITAT

Base de données KBOB

 

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